Publié le 30 janvier 2019
L’art oratoire est un art à bien des titres complexe.
Mais ce qui en fait une technique particulièrement difficile à acquérir et à maîtriser, c’est qu’il oblige au contrôle simultané du corps et de l’esprit: Il faut à la fois décider de ce que l’on fait et de ce que l’on dit.
Certes 60% des informations qu’un orateur délivre s’expriment par le langage du corps (apparence physique, gestes, déplacements), il ne reste que 30% pour la voix et seulement 10% pour les mots.
C’est ce qui a pu conduire parfois à chercher à réduire la rhétorique à une mise-en-scène et certains comédiens à s’emparer des formations dédiées depuis quelques années à la parole en public.
Mais l’art oratoire malgré cela ne saurait relever du théâtre, indépendamment du caractère « théâtral » de certaines circonstances. A l’évidence il ne suffit pas de savoir jouer de son corps pour être un bon orateur. Et certaines formations qui ne savent qu’adapter des techniques de scène à la prise de parole demeurent inefficaces, même si elles parviennent à renforcer la confiance en soi, une meilleure gestion du souffle, de la respiration, de la voix…
Il faut écouter Malraux déclamer son oraison funèbre dédiée à Jean Moulin pour comprendre que c’est un corps qui gémit, une voix épuisée qui souffle et que tout cela n’a surtout rien à voir avec des cours d’art dramatique, même si le grand romancier avait le génie de la dramatisation. Cette voix tremblante d'asphyxié célèbre mieux que n'aurait su le faire aucune autre le corps martyrisé du chef de la Résistance Française ...
Mai ceci rappelé, l’art du discours doit évidemment prendre en compte cette gestion du corps, elle est primitive et mérite toute notre attention.
Tout commence donc … avec un corps qui s’avance et se donne au regard d’une assemblée, avant même qu’aucune parole ne soit prononcée.
Le corps dans son espace.
L’orateur, invité à prendre la parole, l’est toujours dans un espace étranger, un lieu qu’il « n’habite » pas, d’où cette gêne initiale et bien compréhensible.
On n’est pas chez soi, sur son « territoire » et d’une certaine façon, l’auditoire a l’avantage : les auditeurs sont assis, installés bien avant que l’orateur ne paraisse. Ils sont chez eux. Il est souhaitable de renverser la situation.
Comment ?
En s’efforçant tout simplement de modifier la configuration de l’espace dans lequel vous êtes invité à parler : régler un micro, écarter une chaise, ouvrir une fenêtre, ajuster votre pupitre. Un espace étranger vous devient familier et vous signifiez alors à ceux qui sont venus vous écouter qu’ils sont vos hôtes.
Vous vous installez alors bien droit, si possible, au centre de l’auditoire si vous êtes debout.
Assis, vous plaquerez le dos contre le dossier, dans un souci de signifier la « verticalité ».
Vertical, un homme est en marche, horizontal, il est couché, blessé peut-être, mort bientôt.
Quant aux déplacements car si vous êtes convié à parler dans un espace ouvert, il faudra vous déplacer, ils seront latéraux.
Evitez les effets de profondeur qui révèlent souvent un stress bien réel et vous amène à un moment donné à avoir une partie de l’auditoire dans le dos. Appropriez -vous tout l’espace dont vous disposez mais latéralement.
Enfin : le plus important : Le regard ! Le regard des autres sur l’orateur, le regard de l’orateur qui ne quitte pas son auditoire.
« Parler, c’est d’abord être vu » écrit Bertrand Périer à qui l’on doit La Parole est un sport de combat .
Il ajoute : « Le discours au sens le plus large commence dès que l’orateur apparait aux yeux de l’auditoire. »
Et c’est bien là que se situe l’origine de notre peur à parler en public. L’orateur s’offre « en pâture » consentante aux regards des autres. On se souvient peut-être des pages tourmentées de Sartre sur le regard qui juge, qui assigne. Ce regard qui donne tout son sens à la célèbre formule : « L’Enfer, c’est les autres. »... Tout orateur a fait le choix d’une saison en Enfer.
Le regard
Il y a tout d’abord le premier regard, premier contact. C’est chronologiquement le regard que pose l’auditoire sur l’orateur. Le regard des autres sur vous.
Ce qui signifie que vous ne devez pas négliger votre apparence. Il y a toute une sémiologie du vêtement, de la coiffure, du maquillage. Une façon de jouer avec les codes, avec les couleurs ad-ductrices, celles qui attirent, et les couleurs ab-ductrices, celles qui repoussent.
Dans la plupart des cas, on gagne à une tenue « classique », marquée par le neutre mais que relève un détail fantaisiste (une pochette, des lunettes à monture colorée etc.). Vous signifiez alors à la fois la connaissance des codes établis et une envie de les transgresser qui n’attend qu’une occasion pour s’exprimer. On commence alors à deviner la femme ou l’homme que vous cherchez à incarner : réaliste, conforme, efficace mais aussi créatifs, un peu transgressifs, voire rebelles.
Quelle coiffure par exemple adopter ? Cheveux lâchés pour les filles, cheveux tirés dans un austère chignon de danseuse. Les garçons : cheveux savamment décoiffés que fixe un gel opportun ? Coupe militaire ? Coupe « degré zéro » de la coupe de cheveux comme s’amusait à le dire Barthes au sujet de la coupe de cheveux maladroite (mais délibérément maladroite !) de l’abbé Pierre. Les possibilités sont infinies, ce qui importe c’est de bien contrôler ce que l’on souhaite suggérer.
Mais il faut dans tous les cas s’entraîner et ne pas innover le jour de votre « oral ».
Pour les filles, par exemple, les concours de commerce apprécient le tailleur « bleu marine », alors ne gâchez pas tout en négligeant de vous entraîner à marcher escarpins aux pieds au risque de vous tordre la cheville à un moment crucial. Quant aux garçons soignez les nœuds de vos cravates !
Bref, renseignez-vous sur le « dress code » et dans tous les cas, adoptez-le non sans avoir légèrement modifié l’une de ses composantes. Mais tout cela n’est pas très important, ce sont des détails qui doivent seulement contribuer à vous donner confiance en vous et à vous conformer ou non à des attentes connues de votre auditoire, selon la stratégie que vous avez choisie.
Dans tous les cas, ce qu’il ne faut jamais oublier, c’est que le seul regard qui compte, c’est in fine, le vôtre. Celui que vous ne cessez de porter sur ceux qui vous écoutent.
Comme le rappelle Bertrand Périer :
« Pour l’orateur, le regard c’est le pouvoir »
Les gestes
C’est tout le corps qui dès lors se met à parler. Et tout d’abord, bien évidemment, les mains ! Nous parlons naturellement avec les mains qui accompagnent, miment ce que nous sommes en train de dire.
Elles doivent toujours être ouvertes, la paume tournée vers le ciel pour dire à la fois l’honnêteté de l’orateur – voyez mes mains, je n’ai rien à cacher- mais aussi sa disponibilité. Tout est possible, ouvert, offert…
Ce geste s’oppose à celui que l’on effectue, paume tournée vers le sol et bras tendu. C’est le salut des romains et celui des nazis. Fermeté, domination, force, autorité. Voilà ce que nous disent ces bras tendus, la paume tournée vers le sol, dans le tableau de David, « Le Serment des Horace » :
Ces trois frères dont les trois corps ne forment plus qu’un seul, uni par le sang dont le rouge des toges souligne l’action, d’un geste de la main disent leur détermination à leur père, dont les mains en revanche sont tournées vers le ciel, en signe d’espérance et d’espoir pour le salut de Rome.
Mais il y a bien d’autres cas de figure. Par exemple :
Mains dans le dos (attention, c’est une attitude fréquente lorsqu’on écoute un autre parler !) : c’est l’ennui, la passivité que l’on exprime.
Si les bras sont croisés : fermeture et défiance. Dans les poche : la désinvolture et le désintérêt pour ce que l’on dit ou ce que l’on entend.
L’auto-contact des mains qui se serrent, se touchent, s’emmêlent dit le malaise et l’insécurité, l'embarras.
Enfin tous les jeux avec accessoires (lunettes, crayons, etc.) signifient un certain détachement séducteur à l’égard de ce qui est dit.
Quant aux jambes, il ne faut pas les oublier !
Debout :
Les deux jambes sont bien ancrées au sol.L’appui s’effectue sur les deux pieds. Il faut aussi éviter les mouvements de balancier.
En posture assise :
Les jambes repliées et croisées sous la chaise disent la timidité.
Quand les jambes ne sont pas croisées : ouverture disponibilité au dialogue.
Légèrement écartée chez une femme : une forme de provocation, combativité, affirmation de soi (les codes du savoir-vivre imposent aux femmes de s’asseoir les jambes serrées)
Enfin on traquera pour les éliminer tous les gestes parasites : doigts qui s’enrouent dans les cheveux, doigts et ongles rongés…
La voix.
Enfin la voix…Elle s’entend grâce aux voyelles (les petites voix), les autres lettres ne font que sonner avec elles (con-sonnes).
Le rôle des silences est bien-sûr essentiel, Occasionnels ils mettent en relief le texte, initiaux ils appellent l’attention de l’auditoire.
Enfin on n’oubliera pas de s’exercer à la bonne articulation des mots , pouvoir hausser le ton, supprimer les parasites (euh..)
Seule la pratique permettra rapidement de mettre tout cela en place. Vous découvrirez l’art et la manière d’accélérer et de décélérer le rythme de ce que vous dites en fonction des effets de dramatisation recherchés. C’est là que le rap peut vous être utile…à passer de 120 à 160 mots par minute, selon l’émotion exprimée.
Le véritable travail peut désormais commencer…
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