Les Anciens définissaient la nature de leur parole par le lieu d’où ils la faisaient entendre :
Sur la place publique, il fallait une éloquence délibérative, dans l’enceinte du prétoire, on réclamait des avocats une éloquence judiciaire, dans la pompe des célébrations, on faisait entendre une éloquence dite démonstrative …A chacune alors ses caractères propres, ses procédés, ses tonalités.
C’est désormais dans le cadre de l ’Entreprise que se constitue une forme d’éloquence spécifique, cette éloquence « moderne », « compétence relationnelle » nécessaire si recherchée des recruteurs d’aujourd’hui, à la croisée de nombreux « softskills », celles auxquelles désormais on initie les étudiants en Ecole de Commerce.
Les entreprises et plus largement les « organisations » sont certes des lieux plus familiers que ne le sont l’enceinte du tribunal, la place publique ou encore la chaire et le pupitre. Chacun s’y trouve conduit à prendre la parole au quotidien et l’on serait peut-être tenté de penser que la « banalisation » des situations d’échange allège la charge mentale de celles-ci, bref que le stress se dissipe et qu’il disparaît. C’est très précisément le contraire qui se produit.
Conscient d’être mal à mon aise quand je dois m’exprimer oralement, je ne suis pas obligé de « faire l’orateur ». Dans la vie simple et ordinaire de chacun, la prise de parole solennelle est extraordinaire. Rien ne m’oblige en effet à m’exprimer en public, à prononcer un discours ou à disputer une joute oratoire lors d’un concours d’Eloquence. En revanche, nul ne saurait échapper à la circulation incessante de la parole que l’on observe dans le monde du travail : ce sont les réunions, les « briefs » et les « debriefs » qui se multiplient, les reportings et les présentations qui s’invitent à tous les échelons. Impossible pour certains – et ils sont nombreux, « 75% des adultes » disent les enquêtes récentes - de se soustraire alors à des accès de « glossophobie » aux effets préjudiciables.
Car les mots que je vais prononcer, la façon dont je vais les prononcer, les réponses que je vais donner, les questions que je vais poser, mes silences enfin, tout cela s’inscrit dans une sorte de dramaturgie qui conditionne ma réussite, la reconnaissance dont je pourrais être gratifié, voire une forme de bonheur et d’épanouissement professionnels.
La prise de conscience de cette extension du domaine de l’Eloquence alimente alors l’inquiétude de ceux qu’inquiète depuis toujours la nécessité de s’exprimer.
Pour lever les appréhensions que fait naître la confrontation de chaque instant au stress que provoque la nécessité de parler en public, il faut commencer par bien cerner cette forme particulière que revêt l’Eloquence dans l’Entreprise : non pas seulement rappeler comment mieux parler « en règle générale » mais aussi et surtout prendre en compte les contraintes propres à nos lieux modernes de travail où désormais la parole prospère.
La vie dans une Organisation définit pour ceux qui la vivent au quotidien de véritables « figures imposées », ce sont des passages obligés qui obéissent à des codes et des usages spécifiques et auxquels il est utile de se préparer : entretiens, réunions, visioconférences et plus rarement présentations, discours ou autres « keynotes » sont ainsi autant d’exercices de style qui réclament toujours l’art et la manière !
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